top of page

Acouphènes

Marc n’avait rien d’un Apollon, mais à 50 ans, il avait toujours été en bonne santé. Au point d’éveiller une certaine jalousie auprès de ses collègues de la banque. De ses collègues masculins en tous les cas, qui lui trouvaient « une santé de fer ». Oui, leur répondait Marc, je suis garanti inoxydable depuis ma naissance. Quant à la gent féminine du siège de ce grand établissement financier, l’opinion avait bien évolué. Car à son arrivée à la NBP, le nouveau chef de service n’avait pas produit une impression extraordinaire. En effet, Marc n’était que d’une taille moyenne, ses yeux marrons n’impressionnaient pas et quand il souriait, il découvrait certaines dents mal rangées. De plus, il n’était pas du genre jobard, à vous donner de grandes claques dans le dos en vous connaissant à peine. Il avait le rire mesuré et le verbe précis mais plutôt rare. Bref c’était un introverti, plus fait pour repérer les trucages d’un bilan que pour décrocher les gros clients de la concurrence. C’est pour cela que ces dames l’avaient surnommé « le limier ».

Mais c’est au moment où sa santé éclatante commençait à lui valoir des succès auprès des secrétaires de la NBP que Marc ressentit les premières atteintes d’un mal dont il n’avait jamais entendu parler. Ce sifflement dans les oreilles ! D’abord discontinu, puis de plus en plus sous forme d’une longue vibration sonore ininterrompue. De jour, comme de nuit. Et qui semblait augmenter d’intensité. Un véritable calvaire ! Une grave dépression s’ensuivit que Marc supporta d’autant moins qu’il n’avait jamais été malade de sa vie. Jusqu’où ce sifflement augmenterait-il ? Il consulta. Consulta les plus grands spécialistes. Sans résultat. Jusqu’au jour où, désespéré, il se résolu à visiter un ostéopathe, qui, soit disant, opérait des miracles. Et le miracle fut !!! Pendant des mois, le chef de service modèle de la NBP n’entendit plus siffler ses tympans. C’est pourquoi, il put sereinement se consacrer de nouveau à ses bilans, sans négliger tout à fait ses affaires de cœur.

Il y avait bien maintenant plusieurs mois que Marc n’avait plus subi l’agression des acouphènes. Il revivait… Après toute cette période si noire, il se sentait en appétit. Sa cuisine venait d’être complètement refaite. Il fallait l’inaugurer. Pourquoi pas avec une bonne omelette ? Il n’oublia pas de mettre en marche la hotte avant de faire chauffer l’huile dans la poêle. Un oeuf bio, du sel, du poivre, du lait, du pain et du beurre. Comme la bonne nourriture pouvait être simple à préparer ! Il s’attabla et commença à déguster son plat. Soudain, il lâcha couteau et fourchette. Ça y est ! Ça recommence. L’horrible bruit lui agresse de nouveau les tympans. Cette fois-ci, on dirait une sorte d’aspirateur. Et dire que Marc croyait, grâce au traitement de son ostéopathe, ne plus jamais souffrir de ce mal !

Ce n’est que le lendemain soir que son directeur, inquiet de n’avoir aucune nouvelles de Marc, envoya son assistante à son domicile. Accompagnée de la concierge qui possédait le double des clefs, l’assistante pénétra dans l’appartement. Marc était comme endormi, le nez dans son omelette. Mais le sommeil n’était pas en cause : une traînée rouge maculait sa joue, depuis la tempe. A côté de l’assiette gisait le pistolet du club de tir. Dans la cuisine tout était calme. Tout ? Pas exactement. Par respect pour le mort, l’assistante arrêta le bourdonnement continu que produisait la hotte aspirante.

bottom of page