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Ambiance !

Il fait noir sur la place Blanche. Normal à sept heures du mat’ en janvier.
Je sens que si je m’en jette pas un dans le gosier, je vais tomber raide de sommeil. Passé l’âge de ces filatures de toute une nuit. Je pousse la porte du seul bistrot ouvert. Ambiance glauque comme je les aime. Ca me stimule le ciboulot. Odeur de serpillière mal rincée. Quelques néons d’avant-guerre jettent une pâleur de mort. « Cette obscure clarté qui tombe des étoiles », c’est pas le vieux Corneille qu’aurait pondu ça ?

Au comptoir, trois ouvriers se tapent un blanc sec avant le boulot. Je lance mon feutre sur une table. Discrètement, je tâte la poche de mon imper : mon feu ne s’est pas fait la malle. Mon Beretta, pareil que ma molaire en or, il suivra son maître jusqu’à la mort. Rassuré, je commande un p’tit noir. Quand je pense que c’est Ali qui m’en a fait cadeau. Mon ami « Ali le shérif ». Il était temps qu’il me le file : une semaine après, je l’ai trouvé, froid comme une assiette anglaise ! La serveuse me dépose mon jus. La tasse paraît aussi propre que la toile cirée. Tu vois ça d’ici ? Tant pis, je le bois cul sec. Ca me brûle les boyaux. Avant qu’elle reparte, j’en commande un autre. Je sors mon calepin. Merde, la photo qui tombe. La photo de Charlotte. Je la ramasse fissa. La serveuse me regarde d’un drôle d’air. Je compulse mes notes. Qui peuvent bien être les kidnappeurs ? Si peu d’indices, c’est du boulot de pro ou je jette ma plaque de détective privé.

La blonde m’apporte mon deuxième café. Sur la soucoupe, un ticket de métro.
Bizarre ! C’est écrit recto-verso. Je sors ma loupe. « Je sais où / se trouve Charlotte ». Je jette un œil au comptoir. La mignonne a disparu. A sa place une matrone à moustaches. Je gribouille mes idées sur mon calepin. Ce pourraient être les mêmes. Les mêmes qui auraient enlevé Charlotte après avoir refroidi Ali ? Au comptoir, un des mecs paraît noir : trop de blanc. Le Gros plant, le matin sans bouffer, y fait mal. De penser à ça, j’ai la dalle. Je me commande un jambon beurre. La patronne me l’apporte. Sec comme la Justice le sandwich. Elle tourne autour de ma table en dégageant des effluves… comment ils disent dans les polars ? Ah, oui sui generis. Sur son tablier, les taches dessinent un tableau abstrait. On dirait du Miro. Revenue au comptoir, je la vois lire mon message au verso du ticket de caisse. Elle m’envoie une œillade appuyée. Je crève de sommeil. Heureusement qu’elle va me rapporter cette affaire là. Plus une prime si je lui retrouve sa Charlotte. Je me taperais même la mémé s’il le fallait. Dans ce métier à la con, il faut tout accepter. Quand même, elle m’aurait pas eu au sentiment ma cliente ? J’aurais dû la faire cracher encore plus dans mon bassinet. Parce qu’elle ferait n’importe quoi, madame Sterling (Sterling comme la banque du même nom), n’importe quoi pour se la récupérer sa Charlotte, sa chienne King Charles.

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