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Gros chagrin

Elodie vient d’avoir quatre ans et c’est sa première année d’école. Une ou deux semaines après la rentrée, sa maman la trouve trempée de pleurs dans sa chambre. Très inquiète, sa mère lui demande quelle est la cause d’un si énorme chagrin. Entre deux sanglots, Elodie articule :
- Quand nous allons à la piscine le jeudi, nous nous mettons en file deux par deux. Chaque garçon ou chaque fille donne la main à un / une camarade, mais moi je suis toute seule parce que j’ai pas d’amis.
Après avoir réussi à s’exprimer, ses pleurs redoublent encore. C’est pitié que de voir cette fillette effondrée devant ce très gros malheur. Et, effectivement, le cœur de sa maman se serre de compassion. Elle la prend sur les genoux et se met à l’embrasser de toute sa tendresse. Après un moment de réflexion, elle demande à la fillette :
- C’est donc parce que tu n’as pas d’amis à l’école que tu pleures ?
- Oui ! Elodie est déjà un peu soulagée d’être comprise.
- Si tu avais plein d’amis, tu ne pleurerais plus et tu serais heureuse ?, dit la maman en lui faisant un gros baiser sur une mare de larmes.
- Oh, oui ! Je voudrais avoir autant d’amis qu’Armelle. Tout le monde se bat pour lui tenir la main quand nous allons à la piscine.
- Eh bien, si tu arrêtes de pleurer, je te dirais un secret pour avoir autant d’amis qu’Armelle.
Elodie regarde sa mère avec un immense espoir qui lui dilate ses yeux de la couleur des noisettes. Sa mère lui donne un mouchoir et, très vite, le torrent de larmes n’est même plus un petit ruisseau de rien du tout.
- Si tu réussis à avoir au moins un ou une amie, je te donnerai une récompense : je t’achèterai une grosse boîte de Fraises Tagada.
La petite fille regarde sa mère bien en face. Tout son visage reflète l’incrédulité la plus totale.
- Une grosse boîte de Fraises Tagada ?
- Oui, dit la mère en essayant de mettre tout le sérieux du monde dans son affirmation si incroyable : la grosse boîte que tu as vue sur le comptoir du boulanger de la rue de Paris.
Pour la fillette, c’est comme si la fée de Cendrillon l’avait touchée de sa baguette magique.
- Donc j’aurais un tas d’amis et aussi la grosse boîte de fraises ?
Le « Oui ma chérie : des amis et des fraises » arrive enveloppé dans un chaud baiser sur la joue déjà sèche. Tout ce que sa maman lui avait promis s’est toujours réalisé, mais cette fois-ci, …cette fois-ci… est-ce possible ? Les idées tournent dans sa jeune tête, un sourire se pose sur ses fossettes et sa maman doit coller son oreille contre la petite bouche pour recueillir le souffle :
- Une grande boîte d’amis et des tas de fraises…
- Oui, si tu préfères dit la maman en riant : une très grosse boîte d’amis, grande comme…, grande comme ta chambre !
Soudain Elodie est par terre. Elle a dévalé les grandes jambes. Elle fait face : une joue inquiète et l’autre déjà rieuse.
- Mais alors, je dois faire quoi pour avoir tout ça ?
- C’est un secret, lui dit sa mère. Il faut que tu me promettes de ne pas le dire.
- Ni à l’école, ni à Papa ?
- Ni à l’école, ni à Papa, ce sera un secret, juste entre toi et moi.
La bouche d’Elodie a pris la forme du grand cercle que la maîtresse a dessiné l’autre jour au tableau noir. Elle l’a appelé : « O ».
- Maman, dis-moi Maman…, Elodie tire avec toute la force de sa jeune volonté sur la jupe de sa mère. Dis-moi le secret, dis-le moi… !!!
- Il faudra que tu fasses quelque chose…
- Et tu me promets que ça marchera ? Elodie avait lâché la jupe et s’était mise à sauter sur place comme les grenouilles de la mare du jardin.
- Si tu fais comme je te dis, tu auras ta grosse boîte d’amis. Demain tu vas aller vers les autres avec le plus grand sourire que tu peux leur faire.
- Même si je me sens triste ?
- Oui, même si tu as les lèvres qui se collent.
- Et je ferais un grand sourire même à Guillaume qui m’a gagné toutes mes billes ?
- Tu sais, Guillaume s’il a joué aux billes avec toi, c’est sûrement parce qu’il t’aime bien et qu’il veut devenir ton ami.

Trois jours après, pour Elodie c’était mieux que Noël : elle suçait ses Fraises Tagada, Guillaume l’avait invité à son anniversaire et elle lui avait même regagné toutes ses billes.

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