top of page

La banque

Il avait toujours été généreux, il avait toujours beaucoup donné de sa personne. Aujourd’hui, allait-il le regretter ? Depuis quelques temps la rumeur courait. Au début, ce n’était qu’un bruit très vague. A peine un murmure. Il fallait vraiment se sentir concerné pour le distinguer. Mais concerné il l’était, lui, Michel Parent. Il se tenait précisément au courant. Sur les conseils de Solange, son épouse, il s’était même abonné à « La Gazette du Parlement ». Car c’est bien d’une loi qu’ « ils » commençaient de parler. L’inquiétude de Michel allait croissante. Evidemment, il n’était pas seul dans son cas. Mais ce n’était pas évident de trouver des « collègues » avec qui discuter, avec qui s’épancher pour essayer d’évacuer ses peurs, les angoisses provoquées par ce projet aux conséquences qui pouvaient se révéler tellement funestes. Michel Parent passait des nuits de plus en plus agitées. Ses heures d’insomnie dépassaient maintenant ses heures de sommeil. Solange s’inquiétait de plus en plus pour son mari. C’est pendant un de ces moments où il n’arrivait pas à rejoindre Morphée qu’il eut une idée. Dès le lendemain matin, il prenait son café à la brasserie située en face de LA banque. Il vit arriver une à une les premières silhouettes entrant dans l’établissement. Lorsqu’il s’agissait de femmes, le doute n’était pas permis. Elles ne pouvaient pas l’intéresser. C’étaient forcément des employées. Mais quand il s’agissait d’hommes, le doute planait. Salariés ou clients ? Au troisième expresso, il rassembla son courage, traversa la rue et aborda un individu qui entrait dans l’établissement en essayant de se faire remarquer le moins possible. Excusez-moi, vous… vous êtes client ici ? L’homme secoua les épaules et, sans même un regard pour le gêneur, se faufila à l’intérieur. Même scénario avec les personnes suivantes : Michel fut bien forcé de le constater, personne ne voulait s’avouer client de cette banque. Très perturbé, notre héros décida de rentrer chez lui par le chemin des écoliers. En parlant d’écoliers, il croisa deux gamins chargés de cartables. Le regard que lui lancèrent ces enfants le troubla encore plus. Se pourrait-il que… ? Mais son esprit rationnel reprit vite le dessus : comment serait-ce possible ? Plus loin, ce fut une jeune mère qui le regarda avec insistance. Michel s’arrêta. Le bébé était resplendissant : Félicitations madame, votre enfant est magnifique. Pour toute réponse il lui sembla que la femme lui faisait un clin d’œil de complicité. Place de la Bastille des adolescents qui traînaient leur ennui, le fixèrent étrangement. Mais non, Michel, sois logique tu vois bien qu’ils sont trop âgés ! Cependant, notre homme n’arrivait pas à se raisonner. Malgré le froid de janvier, il sentait ses mains devenir de plus en plus moites. Il transpirait. Cette nuit-là, il rêva qu’il se faisait agresser par une meute de nouveaux-nés. Au matin, sa décision était prise. Michel Parent se trouve maintenant devant l’entrée du bâtiment. Il y a la queue (il sourit en pensant à ce mot), car tous ces hommes ne pensent qu’à fermer leur compte…. Aucun des clients ne tient à affronter des dizaines d’enfants potentiels. Car avec la nouvelle loi supprimant l’anonymat des donneurs, l’avenir semble bien noir à LA banque, la banque du sperme.

bottom of page