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La marque à suivre

Il avait cherché une adresse sur Internet. Evidemment, il ne pensait pas en trouver une en bas de chez lui. Cependant, il avait été surpris et déçu de ne pas en trouver plus proche de son domicile. Tant pis, il ferait le voyage !

C’est ainsi qu’il se retrouve, un beau début d’après-midi à Pigalle. Puisqu’ il est en avance, Jacques essaie d’apprivoiser ce temps en pratiquant le lèche-vitrine, comme il aime le faire dans son quartier. Mais quelle différence avec le boulevard Saint Germain ! Ici, ce ne sont que sex-shops et cinémas pornographiques. Un rabateur noir tente de le convaincre :
- Entrez, la séance va commencer.
- Non, merci dit Jacques en rougissant.
Et il s’éloigne rapidement, sans regret de manquer le film « Elles me veulent toutes ». Que penserait de cette ambiance, le sévère pasteur Anderson, le héros de son livre ?

Il est encore en avance et la porte n’est pas ouverte. Il frappe à la vitre.
- C’est pour un tatouage ?
- Oui, ce n’est pas une librairie que je cherchais !
Jacques rougit de sa tentative d’humour, presque soulagé de voir qu’elle tombe totalement à plat.

Pendant qu’il se déshabille, le gros homme le dévisage, la cigarette à la lipe.
- Je crois ben que je t’ai vu… Pensif, il tire une bouffée. T’étais pas chez Mireille Frimas, l’autre soir à la télé ? Le soir où il y avait aussi Lulu Godemichet, tu sais bien la star du porno ?
- En effet, mais c’est mon…, mon patron qui avait pris ce rendez-vous, pour moi.
Jacques, le cœur en cinquième vitesse, constate que ses pauvres justifications n’intéressent pas l’homme de l’art qui se met à préparer ses instruments.
- Allonge-toi là… Sur le dos ou sur le ventre ? Ouais, je me rappelle tu disais que tu fuyais la pub, qu’un bon produit devait se vendre tout seul et… j’sais plus quoi encore.

Pour l’aider à supporter la brûlure des aiguilles, Jacques se met à repenser à son entrevue orageuse avec son éditeur. Celui-ci était très déçu des ventes de son roman. C’était donc bien lui qui lui avait trouvé une place de dernière minute chez Mireille Frimas. Il voulait de la pub ! Il fallait absolument qu’on en parle de ce très beau roman philosophique, distingué par les meilleurs critiques de France : « La secte des Anderson ». Il avait donné à Jacques l’ordre de réfléchir à toutes les possibilités de faire parler de son œuvre. Oui, « La secte des Anderson » méritait de bien meilleures ventes.

- Pas trop mal ?
- Pas vraiment, ça peut encore aller.
Jacques serre les dents, son dos le brûle. Il repense aux cataplasmes de sa jeunesse. Il s’agrippe au lit. Dans quinze jours, il se fera bronzer à Saint-Tropez. Là ou se font et défont les réputations, là où il faut être vu, lui avait dit son éditeur.

- Ca te va, mon bonhomme ?

Son œuvre terminée, l’homme lui a photographié le dos et lui montre le résultat des souffrances endurées sur l’écran de l’ordinateur :

Lisez « Le sexe des Anderson », Goncourt 2011.

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