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Le dix-neuvième trou

Le temps était splendide. C’était vraiment l’été indien, période d’autant plus précieuse que le mauvais temps ne va pas tarder. Etait-ce ces conditions qui rendaient notre golfeuse nostalgique ? Toujours est-il qu’en buvant sa pinte de bière rousse et vaguement tiède, au bar du club house (surnommé le « dix-neuvième trou » par les membres), Wendy se sentait du vague à l’âme.
- Reginald, mon champion, tu as encore fait un très bon parcours aujourd’hui. Bravo ! Moi, je me sens beaucoup moins en forme que toi.
- Ma chérie, ce n’est pas tes quelques rhumatismes qui t’enlèveront à mon amour, dit-il en plongeant le nez dans l’écume de sa Guiness.
- Parlons sérieusement. Tu as depuis longtemps souscrit des assurances à mon profit pour le cas où tu partirais en premier, et je
t’en remercie.
- C’est bien normal ma chérie. J’essaye d’être un mari responsable.
- C’est vrai Reginald. Wendy fixait pensivement les petites bulles qui montaient du fond de son bock. Mais suppose que ce soit moi qui parte en premier.
Wendy chercha les yeux de son époux : elle crut y déceler la même buée de tendresse que celle qui recouvrait sa pinte de bière brune.
- A Dieu ne plaise mon aimée. Mais si cela se produisait, sans toi, je ne serai plus rien.
- Sans aller jusque-là, que ferais-tu des affaires auxquelles je tiens beaucoup ? Par exemple le collier de perles que tu m’as offert pour nos dix ans de mariage ?
- Ton collier ? Reginald prit une forte inspiration, mais ma Wendy tu sais qu’un homme ne peut pas rester longtemps célibataire. Je suppose qu’après quelques années de deuil, je me remarierai. Et ce bijou, je crois que je l’offrirai à ma nouvelle femme, pour que je garde toujours ce souvenir de toi.
- Au moins toi tu es franc mon Reginald. D’ailleurs, tu ne sais pas mentir, tu es tellement spontané et même parfois gaffeur.
Tout en manipulant le dessous de verre, elle poursuivit :
- D’accord pour le collier, mais mon coupé BMW ? C’est parmi tous tes cadeaux celui auquel je tiens le plus.
- Mon amour, la question est la même. Comment pourrais-je me séparer d’un objet qui t’est aussi cher ? Je l’offrirai plutôt à ma nouvelle épouse.
- Je comprends… je te comprends mon chéri. Les yeux de Wendy qui erraient dans le vague se fixèrent sur son sac de golf Hermès dans lequel brillaient quatorze clubs flambants neufs. Et mon nouvel équipement, qu’en ferais-tu ?
- Ah, ça pas question, elle est gauchère !

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