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Mecca street

L’air empestait encore le pneu brûlé et les restes de gaz lacrymogène piquaient les yeux. Les quelques rayons d’un soleil froid s’efforçaient de percer le brouillard de poussière en suspension. C’était le lendemain des événements. Le lendemain de ces émeutes qui avaient frappé l’Angleterre de stupeur.

William habitait l’épicentre du phénomène. En d’autres termes, l’œil du cyclone. Oui, on pourrait dire qu’il s’était agit d’un ouragan. Mais William savait que tous ces phénomènes destructeurs recevaient un nom. Un prénom de femme. Etait-ce pour les apprivoiser ? Pour que ces phénomènes tropicaux meurtriers paraissent moins effrayants ? Mais quel nom donner à ce genre de typhon londonien ?… Tout en réfléchissant, William marchait vers le point de rassemblement. Il passa devant l’immeuble où habitait son ami Muhamar. De l’immeuble, il ne restait qu’une carcasse noircie dont les poutrelles semblaient accuser le ciel de tant de cruauté. De l’autre côté de la rue, son regard plein de compassion se porta sur les restes de la petite épicerie. Quand il faisait ses courses, William aimait bien discuter avec Singh, le propriétaire à la barbe noire et au grand turban qu’il était péché d’enlever. Même en fouillant bien, on n’aurait pas pu exhumer une bouteille de Coca-Cola des décombres... La rue était longue et il pressa le pas. Mais était-ce toujours une rue ? Une rue ne suppose-t-elle pas des alignements d’immeubles ou de maisons ? Plus loin encore, William pu apercevoir, à travers le manque de vitrine du restaurant indien quelques tables qui avaient été épargnées. Cependant, à l’endroit qui avait été une terrasse, deux ou trois chaises achevaient de se consumer. Comme quoi, les meubles comme les humains peuvent être plus ou moins chanceux dans les catastrophes. Contournant une Ford incendiée, mais encore identifiable, il s’arrêta quelques minutes devant l’ancien magasin Dixon. C’est ici que l’émeute avait commencé : la rage de posséder les plus récents exemplaires de ce que produit notre civilisation de la connexion avait mis le feu à sa rue. Ce désir furieux avait entraîné la disparition immédiate des écrans tactiles, Smartphones et autres I-pads. Quand la police était enfin arrivée sur les lieux, seuls un ou deux aspirateurs bon marché n’avaient pas trouvé preneur.

Tout en marchant, l’Anglais se remémora les circonstances de son arrivée dans ce quartier bigarré. Militant des droits de l’homme et de la suppression des frontières, il avait voulu mettre ses convictions en pratique. Malgré les avertissements de sa famille, il avait acheté un commerce rue Malborough, rebaptisée Mecca street, rue de la Mecque, par la population locale. Bien que seul européen dans cette artère très commerçante, il se sentait à l’aise et avait sympathisé avec toutes les couleurs du voisinage. C’est pourquoi William avait été si surpris par cette subite tornade dans un ciel serein.

Ses idées ébranlées, comme les immeubles de la rue, les larmes au bord des yeux, il était arrivé au point de rassemblement, précisé dans la convocation sur Facebook. Il salua le groupe d’un Salam ! sans joie, empoigna son balai et se mit au travail. Et Allah savait qu’il y en avait du travail !

Disparaissant presque dans la poussière de ses espoirs, il se rendit compte que cette désolation était en train de provoquer chez lui le syndrome des rescapés des camps de la mort. En effet, William pouvait maintenant faire le compte des commerces qui n’avaient pas été détruits. C’est-à-dire ceux dont les produits n’avaient pas intéressé du tout les jeunes du quartier. Le calcul était vite fait : il n’y en avait qu’un : sa librairie.

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