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Parasols

Pendant une douzaine d’années, nous avons eu pour habitude de partir avec un couple d’amis, à vélo, au mois de mai, explorer une région de notre belle Europe. Avec ce mode de locomotion, nous sommes allés pérégriner du nord au sud de notre continent, de la Lusitanie au Plat Pays.
Je me souviens particulièrement de cette randonnée italienne. A Rimini, nous étions enfin dans ce célèbre lieu de vacances estivales : le long de la botte italienne se déroule cet interminable ruban de sable. A perte de vue, une seule et même plage, défendue par un mur sans fin de bars, hôtels, restaurants et campings. Coup de pédale après coup de pédale s’offrent à nos yeux incrédules des dizaines de kilomètres de « Miramar », « Miraflor », « Bella Vista », « Bella Mare », « Acapulco », « Las Palmas », « Les flots bleus » etc.. Déprimés, fatigués, nous arrêtons nos montures d’acier pour jeter un regard plus précis sur l’étendue sableuse et vide en ce mois de mai. Vide ? Pas tout à fait. Ce Sahara côtier est « agrémenté » de centaines d’objets, alignés au cordeau. On dirait, mais oui, on dirait les innombrables croix d’un immense cimetière militaire. Des croix qui attendraient les corps de l’été pour justifier leur existence. En s’avançant pour inspecter de plus près, nous réalisons qu’il s’agit en fait des pieds de parasols. Cette ferraille hiberne seule sur la plage, quand les contreparties entoilées passent la mauvaise saison à l’abri.

Cette nuit-là, en plus de crampes aux mollets, mon sommeil a été troublé par un rêve. J’abordai un Italien en tenue camouflée qui observait la plage à l’aide de puissantes jumelles. Je lui demandai de me décrire la saison touristique. « Cher Monsieur, vous ne pouviez mieux tomber : il se trouve que je suis zoologue. La ville de Rimini me charge d’étudier le comportement de la faune migratoire. Pour le moment, vous ne voyez rien. Mais dans un mois, vous ne pourrez plus distinguer un seul grain de sable. L’accouplement du premier support avec son parasol donne le signal. Comme mus par un mystérieux instinct, chaque année à la même date, les hordes de bipèdes du Nord, à la peau laiteuse et au cri guttural, migrent par dizaines de milliers pour se réfugier sous ces abris précaires. Les rites sont toujours les mêmes : le mâle offre en cadeau un parasol à sa femelle. Puis, il étend la plus grande étoffe possible à l’ombre de celui-ci. Pour finir de marquer son territoire, tout autour du nid, il dispose sur le sable de nombreux objets hétéroclites : glacières, bouteilles, ballons, radios, etc... En retour la femelle, comme prémisses à de futurs ébats amoureux, caresse longuement le mâle avec un liquide à l’odeur nauséabonde. Croyez-moi Monsieur, le bruit et les odeurs que dégagent cette innombrable colonie sont vraiment insupportables. Bien qu’il n’y ait pas de chef pour en donner l’ordre, tous ces gestes sont effectués en même temps. De même, dès qu’un grand mâle s’élance vers la mer, tous les autres bipèdes se jettent à l’eau. Ce n’est qu’après de longs ébats aquatiques que chaque couple regagne son parasol, sans se tromper car il se ressemblent tous. On ne sait pas s’il s’agit du même abri d’une année sur l’autre. Certains zoologues pensent que oui. »

Après notre retour, une amie m’a demandé où elle pourrait bien passer ses vacances, sans se sentir trop seule. Ma réponse a été immédiate : « Ce qu’il te faut, c’est Rimini ! Rimini et ses superbes champs de parasols ! »

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